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Ailleurs Partout

Film de Vivianne Perelmuter, Isabelle Ingold - Belgique - 1h03

Un jeune homme dans une chambre, quelque part en Angleterre. Sur l’écran d’un ordinateur, des images des quatre coins du monde. On traverse les frontières en un clic tandis que le récit d’un autre voyage nous parvient par bribes, à travers des textos, des chats, des conversations téléphoniques, l’interrogatoire d’un office d’immigration. C’est le voyage de Shahin, un jeune Iranien qui fuit seul son pays.

ÉTAT DES NON-LIEUX ET ÉTOILES FILANTES

Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter sont des réalisatrices rares, et donc précieuses. Et quand ça frappe, ça frappe fort, là où ça fait mal. A des années lumières de toute commisération sympa, leur dernier film « Ailleurs Partout » bouleverse absolument le genre désormais consacré du film de migrants. Le principe est de glisser de la rhétorique humaniste du reportage à l’enquête poétique, mais implacable, une recherche qui construit plan après plan, une sorte de collage, d’agencement : l’itinéraire de Shahin, un jeune homme iranien, cultivé, intrépide, de Fooladshahr à Londres, via la Turquie et l’Europe. Et la grande force du geste des autrices, est de nous impliquer dans cette enquête par bribes : interrogatoires obsédants, coups de fil à la mère inquiète, images fragiles arrachées aux caméras de surveillance, chats laconiques avec les réalisatrices qui s’écrivent et se raturent en distanciel sur l’écran. Comme dans la poésie objectiviste américaine, de ces éléments épars naît un temps étrange, celui d’une traversée dont on saisit peu à peu le point de départ et ÉTAT DES NON-LIEUX ET ÉTOILES FILANTES l’espérance, l’amertume de l’arrivée toujours reportée et l’entrelacs des obstacles constants. On est plus vers l’Akerman de « De l’autre côté » ou le des Pallières de « Poussières d’Amérique » que du côté du documentaire d’indignation généraliste, et l’apparente majesté distante du film, sans jamais gérer l’empathie comme produit d’appel, finit par dépeindre un monde : le notre, englué dans ses peurs, ses réseaux, ses failles et ses bugs, et que traversent encore, aux hasards des frontières et des camps de réfugiés, des étoiles filantes de liberté et de désir. « Ailleurs Partout » tresse ainsi, entre le son et l’image, un état des non-lieux lucide et irrémédiable, en pistant Shahin à la trace numérique, en inventant une beauté inédite au monde instable des réseaux où on le confine, et qui nous broie nous aussi. Ici nulle part, mais dans un endroit où le cinéma sert encore à quelque chose.

Vincent Dieutre, cinéaste


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